La marche de la veille s’était
achevée sur l’acharnement du phare San Gonzalo à ne pas apparaître. Chaque nouveau
passage de colline me dévoilait en effet de nouveaux reliefs et ceux-ci s’employaient à
me refuser obstinément le bleu de la baie Aguirre. Selon ma position, la
pointe Kinnaird et son phare ne devaient pourtant pas être très éloignés de mon
bivouac.
Pour toutes les fois où j’avais
promis à des amis exténués que la randonnée s’arrêtait juste « derrière la
colline », sans préciser laquelle… Étais- je en train de le payer ?
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Le soleil vient de se lever, c'est l'heure de l'ami lyophilisé ! |
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La pointe Kinnaird en vue. Les monts Atocha, Pirámide et Campana à l'arrière plan. |
Pourtant, le découpage de la côte
m’oblige à faire tant et tant de détours que l’ensemble de la matinée n’est pas
de trop pour l’atteindre, et encore cela aurait pu être plus long.
Un troupeau de bovins occupe en
effet la dernière colline et s’agite lorsqu’il me voit apparaître. Je serre la
côte au plus près pour que l’ensemble des « muscles à cornes » n’ait
aucun doute sur la direction par laquelle, il peut m’éviter. Comme lors des rencontres
de la veille, un trot lourd s’éloigne bientôt vers l’intérieur des terres dont
il fait vibrer la tourbe. Seul un taureau traîne, hésite en observant le gêneur
venu interrompre un déjeuner de bord de mer en famille.
Je reste sur la même trajectoire, ne modifiant ni mon allure, ni quoi que ce soit qui pourrait le faire hésiter et paniquer. J’imagine très bien le bouillonnement cérébral en cours et espère juste qu’il aboutisse à un départ dans la bonne direction. Alors que je ne suis plus qu’à une trentaine de mètres et commence à mon tour à me poser plein de questions sur la manière de courir vite, le mastodonte se décide enfin à rejoindre son groupe et me laisser le passage. Pfff, presque envie de l’appeler le « cap Mérité ». En tout cas la pause méridienne l’est, elle.
Je reste sur la même trajectoire, ne modifiant ni mon allure, ni quoi que ce soit qui pourrait le faire hésiter et paniquer. J’imagine très bien le bouillonnement cérébral en cours et espère juste qu’il aboutisse à un départ dans la bonne direction. Alors que je ne suis plus qu’à une trentaine de mètres et commence à mon tour à me poser plein de questions sur la manière de courir vite, le mastodonte se décide enfin à rejoindre son groupe et me laisser le passage. Pfff, presque envie de l’appeler le « cap Mérité ». En tout cas la pause méridienne l’est, elle.
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S'il te plait, pousse-toi ! |
De part et d’autre de la pointe Kinnaird
s’étendent de jolies petites plages de sable dans l’esprit de Playa Dorada. Le
soleil donne à l’ensemble une atmosphère estivale que le vent austral tempère cependant
très efficacement. Ces petites plages n’ayant pas de nom, je me permets donc de
les surnommer « les Radieuses », qualificatif très en accord avec mon
état d’esprit. J’entre en effet, Baie Aguirre et espère pouvoir atteindre
Puerto Espagnol ce soir mais surtout des traces humaines sur le sable me
confirment la proximité de l’expédition des surfeurs de Gauchos Del Mar.
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L'une des Radieuses. |
Entrer dans cette baie, c’est également accéder à des lieux chargés d’Histoire et, en Terre de Feu, celle-ci est si récente que le marcheur n’a aucun effort d’imagination à produire pour vivre ce qu’il a lu. De la mort d’Allen Gardiner et ses compagnons d’expédition réfugiés dans une grotte en 1851 à Pedro Ostoich qui essaya en vain d’y développer une activité agricole jusqu’à la préfecture de police et l’estancia qui tentèrent, avec aussi peu de succès, de lui succéder.
Mais suivre simplement la côte
jusqu’au bivouac était sans doute trop simple et les falaises ne semble pas décidées
à le permettre. Je me rappelle cependant que le journal de Gargiulo évoquait un
passage par les crêtes que le gaucho Pati leur avait conseillé pour pouvoir
rejoindre Puerto Espagnol. Sur le dernier relief des monts Lucio Lopez, il y a
effectivement une partie qui, dépourvue de forêt, en autorise l’ascension.
Je m’y engage et celle-ci s’avère
relativement aisée. Je rejoins ainsi le sommet en une heure. De là, j’embrasse
l’ensemble de la baie Aguirre. Au loin, l’embouchure du rio Bonpland et je
devine l’ancienne estancia sur l’autre rive. A mes pieds, je peux voir une
petite avancée de terre, la pointe Lobos (qui vu son nom fut sans doute riche en otaries et/ou phoques). C’est là que se situent les grottes de
Gardiner.
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La pointe Lobos depuis la crète. A gauche à l'arrière plan, l'embouchure du rio Bonpland. |
Malheureusement tout le versant
menant à Puerto Espagnol est recouvert d’une large forêt. Pas la moindre trouée
dans cette végétation fuégienne dont je connais désormais trop bien la densité
pour m’y risquer à la légère. Le souvenir de mes lectures me confirme que la
descente fut particulièrement pénible pour mes prédécesseurs. Pourtant
l’expédition Gauchos Del Mar n’a pas
deux jours d’avance sur moi et il doit donc subsister les traces de leur
passage. En les cherchant, je ne tombe malheureusement que sur quelques
empreintes animales s’engageant dans une voie dégagée de la pente... (à suivre)
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Un peu d'Histoire
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Don Pedro Ostoich : En 1940, il est le premier à s'installer en baie Aguirre. Il y tente successivement plusieurs activités allant de la fabrication de graisse de phoque à l’élevage de renards, l’exploitation forestière et enfin l’élevage de moutons et le bagualeo (cf. Etape 1). Systématiquement, les conditions météorologiques font échouer chacune de ses entreprises. En 1950, un bateau vient le récupérer avec sa femme, malade. Celle-ci avait vécu 8 ans à ses côtés dans la solitude de la baie Aguirre. En 1994, à 88 ans, Pedro Ostoich rend hommage au courage de son épouse en venant déposer une plaque à sa mémoire au phare San Gonzalo. Cet individu hors normes a rédigé ses mémoires à plus de 94 ans (que je recherche d’ailleurs toujours activement !!!) publiées sous le titre « Un solitario en Tierra del Fuego ». Le nom de ma modeste ballade sur ces terres rend hommage à cet exemple de courage et d’élégance qu’il incarnait.
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