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vendredi 4 septembre 2015

Etape 6

De l'embouchure du rio Lopez au rancho de Luis
27 février

Lever de campement à 07h30. 
A nouveau, j’espère profiter de la marée basse pour traverser le rio Lopez. La nuit s’étant déroulée sans vent, l’état de mer va cette fois rendre l’embouchure praticable. Du moins, j’en suis persuadé et ne traîne pas pour traverser la plage. L’aube est trop douce pour durer.

plage de la baie Sloggett

Malheureusement comme la veille, le passage reste impossible à cet endroit. Il ne doit pourtant pas y avoir plus de 15m à faire… mais avec la certitude de se faire faucher par le courant et engloutir par le shore break. Le seuil creusé par les rouleaux sur la plage est très impressionnant alors même que la houle est redevenue minuscule. C’est rageant, mais il va falloir à nouveau sonder la rivière pour traverser en amont.

La physionomie du cours d’eau s’est profondément transformée depuis la reconnaissance de 2012. Mais à l’endroit où nous étions passés sans autre soucis que de la flotte aux genoux et un peu de vase, il doit forcément rester un semblant de gué. Merde ce n’est pourtant pas demander la lune ?! Simplement quelques mètres épargnés par le courant et sous lesquels les arbres et la tourbe auraient le chic de ne pas transformer le fond en piège !

Après plus d’une heure de progression dans cette eau brune et glaciale, j’ai enfin sondé un passage acceptable (pas plus haut que les épaules…), multipliant ensuite les allers retours pour transporter l’ensemble de l’équipement. Je savoure déjà mon entrée dans la péninsule….mais le relief m’a caché un dernier petit bras de rivière. Quelques mètres qui ne me laisseront jamais passer. J’en aurais pleuré mais j’ai trop froid et il ne faut pas traîner dans le lit d’un cours d’eau qui se modifie à chaque pluie.

Une nouvelle petite heure pour tout repasser de l’autre côté et je me change en vitesse. C’est alors que le mauvais temps décide que sa grasse mâtinée a assez duré. Horrible vent de Sud Ouest, pourquoi ne nous laisses-tu donc jamais un peu de tranquillité sous ces latitudes pluvieuses ?
Déjà limite, les rafales et la pluie finissent en tout cas de me faire tomber en hypothermie. Ce n’est pas ma première et je sais qu’il devient dorénavant inutile d’espérer se concentrer sur plus d’une idée. Mais c’est aussi en me focalisant sur elle que je peux éloigner tout risque de panique ou d’actions foireuses dictées par la carence de lucidité.
Et quel est ce phare cérébral grâce auquel je sais où je vais, malgré le froid qui essaie prendre le contrôle ?
Simple : « Rejoindre au plus vite le rancho mystère de la veille et m’abriter de cette nouvelle perturbation qui s’apprête à balayer la baie. »

Rancho de Luis
J’y parviens assez rapidement et à peine entré, je tente de rallumer le feu.
Alors que mon souffle peine à relancer la braise, des voix me parviennent, accompagnées d’aboiements. Réouvrant la porte, j’aperçois une meute de chien se rapprochant du rancho. Ils sont accompagnés par deux hommes à cheval. Dès qu’ils me voient, ces derniers m’assoient d’autorité devant le poêle qu’ils remplissent de bûches.
La température s’élève rapidement. On me tend tortas fritas et viande nappée de chimichurri. J’ai beau ne pas être au meilleur de mes capacités sensorielles, cette découverte culinaire est une révélation.
A peine me suis-je transformé en plus grand fan de la nourriture gaucho, qu’on m’indique que l’immense tasse de café fumant sur le poêle est à boire. Je n’aime pas les grands cafés allongés mais là pas d’inquiétude, le dosage réveillerait un mort. D'ailleurs l’hypothermie prend rapidement peur et s’enfuit. La crainte du feu, quelle bête féroce ne l’éprouve pas ?

Une fois que mes hôtes ont l’assurance que je vais mieux, les présentations commencent. Il s’agit de Ramon, le chercheur d’or de la baie Sloggett et de Luis, le second gaucho permanent de la région. Avec Pati, j’ai donc la chance d’avoir rencontré en quelques jours les trois personnes vivantes que je vénère en Terre de Feu argentine.
Il n’est pas facile de se comprendre (plus facile qu’avec Pati néanmoins) mais les gestes et le regard ont été inventés pour les gens peu causants. Ils savaient eux aussi que j’étais dans le coin et mes intentions. Je leur confie d’ailleurs mes échecs répétés à traverser le rio. Aujourd’hui, je ne dois pas ressortir avec cette nouvelle perturbation (raison de leur retour au rancho) mais ils me feront passer à cheval demain.

Tortas fritas dans l'huile....
Dans le rancho, il fait bientôt très chaud et j’en profite pour ouvrir les sacs et faire sécher toute une semaine d’humidité. En revanche, je dois ralentir sur la viande et les tortas fritas car cette soudaine charge de bouffe couplée à la chaleur m’oblige rapidement à prendre l’air pour éviter un malaise !
J’apprends beaucoup sur la région puis Luis me parle des attentats de janvier en France. Comment une information si loin du rude quotidien de puestero a-t-elle pu parvenir dans un endroit aussi isolé ? Je suis un peu scotché encore une fois par la circulation de l’information.
Et puis en réfléchissant un peu, Luis troque régulièrement à la Prefectura de Moat le produit de sa chasse contre des vivres et de l’équipement. Avant de reprendre le chemin vers son royaume austral, il vide quelques bières en échangeant les nouvelles avec les gardes-côtes de la base. Du moins si ce n’est pas par ce biais que l’information lui est parvenue, je ne vois pas. Quoique les 2 petits piafs passant d’un trou à l’autre de la cloison pour piquer quelques miettes de tortas fritas ne sont peut être pas étranger à l’affaire…

Luis à l'épluchage (les huit chiots à l'arrière plan)
Ramon au découpage (tortas fritas au premier plan)




















Car pour ce soir, c’est festin !!
L’après-midi pluvieuse est en effet mise à profit pour préparer 1 ragoût ainsi qu’un nombre conséquent de tortas fritas destinés aux prochains jours.
En conséquence le repas du soir est gargantuesque et j’y contribue modestement avec un dessert de fruits secs, chocolat et barres énergétiques Adventure Food. Quelques matés accompagnent le couché du soleil et, lorsque la nuit tombe, je m’endors le ventre plein, non sans avoir feuilleté le livre que Sergio Anselmino a dédicacé à Luis lors de son passage au rancho.

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                                                                        Lexique
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Tortas Fritas : Au pluriel car on n’en mange jamais qu’une… Eau, farine, sel, graisse animale et levure. Faire frire la pate obtenue et découpée préalablement en petites portions. Plus calorique que du pain et se conservant plusieurs jours, vous obtenez un aliment transportable qui, accompagné d’un bout de viande et d’une calebasse de maté sera un très fidèle compagnon de voyage.

Chimichurri : Le condiment indispensable en Argentine pour l’accompagnement d’une viande grillée.