06 Décembre
Le vent est tombé au cours de la
nuit et, ce matin, le ciel est suffisamment bas pour comprendre que la route des cîmes aurait été fermée aujourd'hui. Ouf, j’ai bien fait de trouver le passage
hier et de ne pas écouter la fatigue me proposant un bivouac aux lacs
Lola. Ce
matin la boussole et mes relèvements de la veille s’avèrent en effet indispensables pour ne pas errer en vain dans cette immense vallée.
Je plie tout en vitesse car je
redoute l’arrivée de la pluie et à six heures quarante cinq, je suis en route. La
progression se fait sur un tapis de mousses et lichens, chaque mètre carré
étant à lui tout seul, un monde d’une incroyable diversité. Cette tourbière est
relativement sèche et j’avance donc vite, un peu honteux cependant des frayeurs
que j’occasionne chez les quelques oiseaux me voyant surgir de la brume.
Au fur et à mesure de ma
descente, cette dernière se fait cependant moins épaisse et l’apparition du rio
Bonplan (*) efface mes derniers doutes en matière d’orientation. Ce très bon rythme
me fait espérer pouvoir atteindre la baie Aguirre le soir même et l’humeur est
excellente. Mais l’euphorie est de courte durée.
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La vallée du rio Bonplan |
Aux mousses et lichens secs
succède une tourbière très humide qui m’impose des trajectoires de plus en plus
alambiquées et trempe des pieds, que les hauteurs rocheuses avaient presque
permis de sécher. Puis la forêt, qui ne me manquait pas, fait sa réapparition.
Encadrant la rivière
Bonplan, elle me fait craindre une progression beaucoup
plus difficile par la suite. Et mes craintes sont fondées….
Dans un premier temps, je slalome
pour éviter les bosquets et retarder l’inévitable mais ceux-ci finissent par
fusionner en une barrière végétale typiquement fuégienne. Sans doute pour
rétablir l’équilibre de l’encombrement, le ciel se dégage alors et laisse le
soleil réapparaître. Puisque les températures deviennent agréables, que la
rivière est encore peu profonde et que l’humidité tourbeuse s’est infiltrée
jusqu’au dernier recoin de mes chaussures, autant profiter de ce chemin liquide
serpentant dans les arbres.
Plouf !
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Et je ne suis pas le seul à choisir le sentier liquide... |
A partir d’un gué, des traces de
bovins et de chevaux apparaissent. Luis m’avait dit qu’il chassait parfois dans
cette vallée et effectivement le sol me montre, une fois ou deux, la marque d’un
fer de cheval. Le tranchant d’une hache est même à l’origine de certaines
souches. Le bois coupé net, n’a pas son pareil pour rassurer car il m'indique que je ne suis pas perdu.
L'unique humain vivant dans cette péninsule est déjà passé là !
Extrêmement concentré, je tente
de remonter cette pelote d’indices qui, je l’espère, m’amènera à la baie
Aguirre. Malheureusement la succession de parcelles de vieux arbres arrachés
par le vent crée un épuisant labyrinthe. Les anciennes traces sont recouvertes
et c’est à nouveau l’incertitude dans les trajectoires, les reconnaissances qui
n’en finissent pas et le danger de se retrouver au détour d’un tronc, nez à nez
avec un taureau. Aucune bête sauvage n’a un instinct de Minotaure mais même
involontairement (car je fais tout le bruit que je peux), croiser un animal paniqué et à cornes dans un espace réduit n’est jamais confortable...
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Infernal... |
En fin d'après midi, l’euphorie du début de journée est déjà loin lorsque de fortes
pluies s'invitent. Après une première averse, je pose mon chargement au pied de
grands
lengas (
Nothofagus pumilio ou hêtre de la Terre de Feu) protecteurs et pars en reconnaissance en espérant pourvoir sortir
un peu de la forêt et évaluer la distance me séparant encore de la baie
Aguirre. Après d’interminables zones d’arbres couchés, je parviens sur une
colline d’où j’aperçois….oh joie ! ….. La côte.
Je préfère cependant bivouaquer
que tenter d’arriver avant la nuit dans la baie. Je suis crevé, la pluie
s’intensifie franchement et si le terrain reste aussi difficile, il me faudra
une journée complète. Je retourne donc vers mon sac….. et les ennuis s’enchaînent.
De nombreux taureaux font en
effet leur apparition et, afin d'éviter un dangereux face à face surprise, j’effectue un large contour des rives forestières du rio Bonplan. L’eau, a effacé mes traces et
j’ai beaucoup de mal à me repérer lorsque je retrouve la forêt. Malgré mon
GPS, dans lequel j’enregistre systématiquement la position de mon sac, je mets ainsi
plus d’une demi-heure à le retrouver. Bien caché par la forêt protectrice, il est pourtant aussi
mouillé à cœur que moi. Très digne cependant, lui ne grelotte pas…
Heureusement, la pluie
s’arrête enfin. Je confie immédiatement à un feu, la mission de chasser les
gouttes ayant traversée la canopée. Malgré son joli ronronnement, un autre
événement va rapidement s’employer à me réchauffer. Au cours de la soirée, deux
taureaux me rendent en effet une petite visite de courtoisie…
Je parviens heureusement à les
chasser sans dommage mais, en plus de me coucher humide, je suis loin d’être
serein pour m'endormir.
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Une soirée humide... |
La nuit résonne du
meuglement sourd des taureaux. Dans un froid demi-sommeil, je me félicite d’avoir troqué pour cette expédition, ma traditionnelle
tente rouge pour un très beau coloris vert… mais compte quand même sur la fumée de mon petit feu pour bien passer le message de ma présence aux bovins...
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En complément
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* Rio Bonplan : Baptisé par l’explorateur
Julio Popper en hommage au botaniste français Aimé Bonpland (1773/1858). Ses expéditions en Amérique du Sud permirent la description de très
nombreuses espèces végétales mais les argentins lui doivent surtout la
découverte de la germination du maté et donc sa culture à grande échelle.
Sans maté que serait l’Argentine…… ?