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jeudi 25 février 2016

En attendant que le ciel s'améliore...

3 décembre

Au cours de la nuit, la clarté du ciel m’a permis de revoir la croix du Sud et la couronne australe mais à l’aube, c’est une toute autre météo qui se présente à nous. La visibilité est nulle et il pleut généreusement.

Ramon et Geronimo m’annoncent qu’ils ne partiront que demain car les conditions climatiques vont se dégrader. Je pense au contraire que cette pluie brumeuse est le gage d’une météo relativement stable ce que semble d’ailleurs confirmer l’évolution de mon baromètre. Sachant que Ramon et Geronimo s’arrêteront de toute façon dans leur rancho à quelques heures de marche, j'hésite donc à partir quand même. Quitte à se séparer, aujourd'hui ou demain quelle importance ?
Luis m’annonce alors qu’il se rendra le lendemain à proximité du rio Lopez et si je le souhaite, m’aidera à le passer à cheval. Cet argument est imparable, l’accès à la Péninsule Mitre étant conditionné par ce fleuve particulièrement changeant et dangereux.

Moins d’une heure plus tard, la tempête s’abat sur Ibarra sans surprendre d’autre personne que moi-même. Le feu diffuse une très agréable chaleur dans le rancho et commence alors une ronde de maté. Il est inutile de s’acharner contre les éléments... Je commence à assimiler la leçon et en profite pour mettre mes notes à jour et consulter les photos des expéditions m'ayant précédé.

L'expédition Latitud 55° Sur avec Luis.
L'expédition Gauchos Del Mar avec au centre Luis, Manual et Ramon.











La journée se passe très tranquillement. Lorsque la tempête se calme avec la basse mer, nous complétons le stock de bois, déjeunons du reste de pâtes, faisons la sieste puis allons sélectionner deux chevaux en vue du lendemain. Les températures ont chuté et nous ne nous attardons donc pas dehors. Les chiens tentent avec peu de succès de rentrer se mettre à l’abri du rancho mais seul Kimba le vétéran de la meute avec ses 18 ans, bénéficie de ce privilège.

Pas moyen de rentrer se mettre au chaud ?
Bon certains arrivent quand même à se faire très discrets.




















En fin d’après midi, le petit transistor capte à nouveau les ondes de la Radio Nacionale. Ça parle foot et qu’il fait 25°C à Santa Rosa. Le reste est trop technique pour mon espagnol mais je parviens à distinguer que cela à trait à l’économie argentine.

L'écoute des nouvelles par Ramon et Kimba.
Un grand débat économique anime la préparation et le repas du soir. Assez surréaliste pourrait-on penser à plus d’une journée de cheval de la piste. Pourtant il n'est pas illogique d'avoir les meilleures réflexions loin du vacarme, lorsque les journées sont élaguées des sollicitations permanentes et inutiles.




vendredi 19 février 2016

La journée débute par un maté....

02 Décembre

... et se termine Rancho Ibarra.
Luis se lève avant cinq heures, rallume le feu et prépare un maté chaud pour saluer l’arrivée du soleil. Ce matin, alors que les discussions reprennent où la fatigue les avaient interrompues, je suis à nouveau le seul à trouver un intérêt à manger. Comment arrivent-ils donc à tenir avec un seul repas par jour ? Je ne le sais toujours pas.

Préparation des chevaux....
... et départ de Luis.











Après avoir chargé le sac de Ramón sur le cheval de bât, Luis se met en route en annonçant qu’aujourd’hui, il fera beau. Cela me conviendrait très bien mais ayant beaucoup de mal à prédire ce qui peut se passer dans le ciel fuégien, je préfère rester prudent devant une telle affirmation.

Un peu de hauteur !
Nous quittons Puerto Rancho un peu plus tard en direction des hauteurs. Plusieurs parties de falaises occupent en effet la côte et nécessitent un contournement. Libéré de son sac, Ramón a retrouvé des jambes et le rythme s’en ressent nettement en dépit d’un dénivelé plus marqué.

Première plage du parcours.
A la mi-journée, nous passons ce que je considère comme la première « plage du bout du monde ». Au pied de collines couvertes de lenga, celle-ci présente en effet les premiers signes de l’atmosphère typique de ce qui caractérisera la suite du parcours : une illustration de l’origine du monde.  Elle est synonyme également de la première traversée de ruisseau. Je suis surpris par la hauteur d’eau. Habituellement, cette entrée en matière ne dépasse pas les chevilles mais cette fois, même les cuisses participent. La grande tourbière qui mène à Rancho Ibarra, ne contribue pas à sécher nos pieds mais cela n’a aucune importance. Ce soir, le poêle saura éliminer toute trace d’humidité.

Nous arrivons vers 15h au rancho Ibarra, principal lieu d’habitation de Luis. La meute d’une douzaine de chiens nous accueille joyeusement. Certains étaient encore des chiots lorsque je les avais vus au mois de mars. Trop jeunes pour jouer les chefs avec des bovins, ils tentent avec nous de se persuader qu’ils en imposent.

Tortas en cours de friture.
Sitôt les sacs posés, c’est tortas fritas et café dans un rancho réchauffé par plusieurs bûches de lenga. Un seau percé pendu à l’une des poutres, de l’eau que le poêle fait fumer, nous profitons à tour de rôle de ce summum de confort qui s’appelle : « Une douche chaude ».

Malgré plusieurs matés, la marmite de pâtes associée à la chaleur du rancho, vient achever nos dernières résistances face à la torpeur qui nous envahit.

Repu et n’ayant plus pour quelques heures, à se préoccuper du ciel, tout le monde se met rapidement dans son duvet. Radio Nacional parvient malgré l’isolement, à crachoter le discours d’adieu de la présidente Cristina Kirchner. La radio est écoutée religieusement. On mesure mal à quel point le cowboy austral s’accroche autant à sa liberté solitaire qu’aux liens le reliant à la communauté humaine.

Fin de journée sur Rancho Ibarra.

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                                                                        Lexique
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Lenga (Nothofagus pumilio: Le hêtre de la Terre de Feu. C'est l'arbre le plus commun dans les étendues sauvages de la péninsule. Poussant dans le sens des vents dominants, son cycle de vie va d'un stade d'arbustes très denses et particulièrement difficiles pour progresser à d'immense troncs couchés sur le sol quelques siècles plus tard ou après des tempêtes particulièrement rudes.

Tortas Fritas (cf. expédition précédente/étape 6, publiée en septembre) : Au pluriel car on en mange jamais qu'une... Eau, farine, sel, graisse animale et levure. Faire frire la pâte obtenue et découpée préalablement en petites portions. Plus calorique que du pain et se conservant plusieurs jours, vous obtenez un aliment transportable qui, accompagné d'un bout de viande et d'une calebasse de maté sera un très fidèle compagnon de voyage.

vendredi 12 février 2016

Retrouvailles avec Luis

01 Décembre


Nous adoptons dès le départ un rythme très lent qui m’inquiète pour la suite. Ramón est de plus en plus fatigué mais Géronimo et moi, sommes trop chargés pour soulager son sac. Qu’en sera-t-il de la suite ?
Chaque pause est cependant mise à profit par Ramón pour transmettre à Geronimo les points de repères qui facilitent la progression ou simplement l’autorisent lorsque les bosquets recouvrent la tourbe. Emouvante passation d’un savoir non cartographié.

Transmission des indices
La matinée est fraiche et humide. Je peine à me réchauffer et lorsque nous nous arrêtons à la mi-journée, le feu n’est pas long a être allumé. Le bois où nous nous réchauffons a servi de poste avancé aux forces argentines au cours du conflit du Beagle (1978) avec le Chili. Un panneau de bois pourrissant sur le sol est le dernier vestige avec quelques fils de fer, de ces tensions ayant précédé la guerre des Malouines. En plus de se battre pour des coins de déserts, les Hommes ont aussi parfois le don de se battre pour du vent…

Autour d'un feu, tout va mieux !
La soupe, le maté et quelques gorgées de Fernet Branca allongé de coca font disparaître les dernières gouttes de pluie et permettent d’attendre confortablement que la mer se retire pour la suite du parcours. Lorsque nous reprenons notre route en effet, nous troquons les étendues de tourbe pour l’estran du canal de Beagle. Les galets roulent sous nos pieds mais la progression est beaucoup plus simple lorsqu’il suffit d’aller tout droit.

Sa livraison à Moat effectuée, le gaucho Luis nous rejoint dans l’après-midi. Le retour du soleil favorise une longue discussion dont profitent immédiatement les chiens pour entamer des rêves de chasse au taureau.
La progression reprend une demi-heure plus tard pour s’achever au rancho le plus austral d’Argentine. Puerto Rancho : 55° Sud.

Progression... hiérarchisée.
La soirée est magnifique et Geronimo prépare à l’extérieur un festin de spaghettis mariées à une énorme casserole de sauce : Carottes, oignons, ail et concentré de tomate, en quelques heures les provisions ramenées par Luis sont bien entamées.
J’aide comme je peux, à savoir modestement, la préparation de ce repas. Luis et Ramón poursuivent autour d’une brique de vin leur discussion amorcée sur la plage et les chiens reprennent le cours de leur sieste.

Belle soirée à Puerto Rancho.
J’ai beaucoup de mal à saisir toutes les subtilités de la discussion sur ce dernier hiver exceptionnellement enneigé. La transmission des informations malgré l’isolement, m’avait bluffé en mars, lors de ma précédente expédition. Au cours de cette soirée, je peux constater que l’ensemble des événements des derniers mois est consciencieusement passé en revue. Un monde de chiens, de chevaux et de taureaux. Les « histoires et racontars » de Jørn Riel sont nées des récits de trappeurs groenlandais et je regrette amèrement de comprendre si peu, les morceaux de vie de gaucho que j’entends ce soir-là et dont je rate une bonne partie. 

Île Nueva faisant face à Puerto Rancho

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Rappels historiques
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Conflit du Beagle et guerre des malouines : En 1978, les îles aux alentours du cap Horn (Lennox, Picton et Nueva) furent disputées entre le Chili et l'Argentine. Une guerre fut évitée in extremis grâce à une médiation du Vatican. Elles sont aujourd'hui chiliennes et le canal de Beagle une frontière très surveillée par les 2 pays. Sa traversée reste encore bureaucratiquement compliquée....
Quelques années plus tard en revanche, les îles malouines (sur la façade atlantique) furent le théâtre d'une guerre entre le Royaume Uni et l'Argentine et reste un sujet de tension entre les 2 pays....

Oui, c'est la loi, un bateau britannique ne peut pas accoster à Ushuaïa :)