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jeudi 28 avril 2016

Sur l'autre versant des monts Lucio Lopez...

05 Décembre


J’ai eu raison d’espérer !
Ce matin, l’aube est splendide et me permet de reprendre le chemin des cimes dès six heures. Si seulement, je pouvais trouver un col !

Sur les crêtes...
A partir de la petite vallée surplombant la baie Sloggett et où j’ai passé la nuit, j’attaque la pente pour rejoindre les hauteurs minérales. La montée est assez raide et mon chargement s’emploie en plus à appuyer de tout son poids pour la rendre épuisante. Plusieurs heures me sont ainsi nécessaires pour atteindre les crêtes plus à l’Est de celles explorées la veille.
Mais les efforts n’ont pas été vains. Pour mon plus grand plaisir, je repère un couloir dans la falaise. Celui-ci dégringole dans une vallée qui, en serpentant plein Nord, semble me permettre de sortir du massif montagneux. Confiant, je me lance dans la barre rocheuse.
Trois couples de condors suivent ma descente en planant, l’air de rien. La chute ne vient pas et chacun repart bientôt, déçu par la tournure heureuse des événements. Un pic rocheux attire mon attention au cours de la descente et je réalise que c'est un excellent repère pour trouver le col. Je le nomme "Doigt de Sainte-Anne" car il m'a immédiatement rappelé le fameux relief des Kerguelen.

Doigt de Sainte Anne depuis la vallée d'altitude.
et celui situé aux Kerguelen (TAAF)











La vallée d’altitude où je parviens est magnifique et se réveille juste de l’hiver. Les grandes plaques de neige s’éclipsent à regret en laissant une végétation noircie et quelques jours seront encore nécessaires aux mousses et arbrisseaux pour retrouver leur teint chlorophylle. Néanmoins abrité du vent de Sud et son entêtement à frigorifier l’atmosphère, les températures sont déjà très printanières.

L’eau de fonte commence à m’accompagner en gouttes puis filets d’eau qui se rejoignent dans un petit torrent grossissant au fil de la vallée. Au loin, je devine une grande étendue d’eau dans laquelle sa course semble se terminer. Les lacs Lola ?
Impossible de le savoir pour le moment. Depuis que la ligne de crête a été franchie, j’évolue en effet dans l’inconnu le plus complet.

Avec l'eau comme seul repère...
J’arrive à la mi-journée sur les berges de deux petits lacs successifs et en déduis donc que j’ai bien atteint les lacs Lola. Le site est extraordinairement beau et délicat. Il est par ailleurs abrité des vents d’ouest mais également, grâce aux chicanes de la vallée, de l’air glacial descendant les pentes des monts Lucio Lopez. Sous ce beau soleil, c'est ici que se situe aujourd'hui le paradis austral !
En me frayant un chemin dans la forêt longeant le premier lac, je pense à cet instant aux indiens Manek'enk qui ne pouvaient qu’apprécier cet éden.
Je m’attendrais presque a croiser les signes de vie d’ultimes représentants de ce peuple disparu. Ce site semble tellement à l’abri des malheurs qui frappèrent les populations indigènes lorsque la Terre de Feu se transforma il y a cent cinquante ans, en perspectives de richesses pour colons audacieux.

Le premier lac Lola...
... et le suivant.











L’endroit est idyllique pour poser la tente mais je souhaite absolument profiter des conditions climatiques pour progresser au maximum et essayer de relever l’axe menant à la baie Aguirre. La vallée est très grande et si la visibilité chute, il deviendra presque impossible de s’orienter.
Malgré la fatigue de cette grosse journée et après quelques détours dans le labyrinthe des bosquets, je quitte donc les lacs et progresse dans l’immense vallée (sans nom) en direction de l’Est.

Lorsque je passe la ligne de séparation des eaux, l’horizon s’ouvre et je distingue à l’horizon une montagne beaucoup plus élevée que les autres. Ce ne peut être que le mont Atocha occupant l’extrémité de la baie Aguirre et devant moi, ce qu’il me faut parcourir pour la rejoindre.

Rassuré de connaître la direction du lendemain, je trouve un site relativement abrité pour bivouaquer cette nuit. En effet, orientée Est/Ouest, cette grande vallée m'épargne les tempêtes côtières mais n'en reste pas moins un boulevard de vent. Ce soir, en me réchauffant, je repense aux magnifiques lacs Lola. L'axe de progression du lendemain ou une soirée au paradis, je ne pouvais pas tout avoir.

Une grande vallée pour une petite tente.
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En complément
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Sur l'ethnie Manek'enk (ou Haush) et les autres ethnies fuégiennes disparues.

http://www.argentina-excepcion.com/guide-voyage/archeologie-ethnologie/ethnies-terre-de-feu

mardi 12 avril 2016

Solo en Península........

4 Décembre
Traversée de la baie Sloggett
Ce matin, mon sac est chargé sur le cheval de bât et je pars avec Luis dès 7 heures afin de ne pas être bloqué par la marée montante. Une bonne partie du parcours pour rejoindre la baie Sloggett passe en effet par des falaises recouvertes à marée haute et il ne faut pas traîner.
A pied, Geronimo et Ramón n’ont de leur côté, pas d’autres choix que d’attendre l’inversion de marée pour se mettre en route. Après plusieurs jours, nos chemins se séparent donc sur un dernier maté au rancho Ibarra.

En rejoignant la côte
Certains passages de falaises et de tourbières sont délicats pour les chevaux auprès desquels nous devons marcher la plupart du temps. Nous progressons néanmoins à un rythme soutenu d’autant que nous utilisons les neuf années d’expérience de Luis sur ce terrain. Je découvre ainsi quelques « raccourcis » dont j’ignorais totalement l’existence et je souris en repensant aux galères des précédentes expéditions, alors que d’invisibles traces ne se trouvaient parfois qu’à quelques mètres.

Pas d'échappatoire à marée haute...
La baie Sloggett où nous parvenons, marque l’entrée de la Péninsule Mitre et le rio Lopez qui s’y écoule, en est la porte. Une porte capricieuse, dont le lit change constamment et est vraiment dangereux.
Située à la sortie du canal de Beagle et son abri relatif aux dépressions, cette baie offre un changement d’environnement saisissant. On y accède par un plateau de tourbière dont les couleurs hypnotisent celui qui s’y aventure et permettent de ne pas se laisser effrayer par l’autre rive du rio Lopez. Malgré plusieurs voyages, la péninsule Mitre reste toujours aussi intimidante et me toise durant les quelques heures que demande la traversée de la baie.
Sur le plateau, les convois de bovins escortés régulièrement par Luis ont laissé des traces bien visibles sur certains tronçons de tourbière. La mousse piétinée se régénérant très lentement, suivre ces traces rassure et évite de se perdre mais est également synonyme de pataugeoire…. Et les chevaux n’ont pas nos poids. Soudain mon cheval s’effondre dans un long bruit d’aspiration. L’une de ses pattes est profondément enfoncée dans la tourbe et il parvient avec beaucoup de difficulté à se relever, sortir de ce trou et reprendre sa route aidé de quelques paroles douces.
Ne pas trop suivre les traces, ne pas trop sans éloigner : l'équilibre est fragile.

Baie Sloggett
Le rancho de Ramón marque la fin de ce plateau de tourbière mais nous le quittons plus tôt par un couloir de falaise particulièrement raide, surtout avec un cheval en surplomb….
Par cette voie, nous atteignons la plage à proximité du voilier polaire Nashachata (*). L’hiver dernier a fini de drosser l'épave contre la falaise. Même de quelques yards, les énormes houles du grand Sud ne pourront plus le faire voyager. Son périple s'est définitivement achevé mais tout son matériel récupérable lui survit encore dans les deux ranchos de la baie. Chez Ramón comme chez Luis (rancho Julian), rien ne se perd.

rancho Julian
Celui-là est à moi !











Nous atteignons rancho Julian en fin de mâtinée et le premier réflexe est, comme toujours, d’allumer le feu pour mettre l’eau à chauffer. Les chiens, de leurs côtés, s’affairent à retrouver (et défendre) l’os qu’ils rongeaient déjà lors de leur dernier passage.
Quelques matés puis nous préparons une solide ration de pâtes, qu’une petite sieste aidera à digérer.

Solo 
Le début d’après midi est splendide lorsque nous passons à cheval le gué du rio Lopez. Désormais je suis à la fois seul et entré en Péninsule Mitre. Après ces quelques jours d’approche, me voici dans le vif du sujet et pour bien commencer, dans la grande tourbière à la base des monts Lucio Lopez. Ses trous d’eau scintillent. Ils encadrent mes pas comme autant de balises appliquées à me faire enchaîner les détours pour mieux apprécier l’infinie palette colorée.
Si la météo m’y autorise, mon objectif est de tenter la traversée des monts Lucio Lopez. Luis m’a confirmé qu’il y avait un passage et que la vallée au nord de ces montagnes permettait de rejoindre la baie Aguirre. Au-delà de l’exploration, cela m’éviterait aussi de suivre le littoral très exposé et qui m’avait laissé un détestable souvenir lors de ma précédente tentative.

Un derrière regard à la baie Sloggett....
.... avant d'entrer dans le royaume du condor.











Tant que le ciel est bleu, je ne traîne pas et me lance donc dans l’ascension avec l’espoir de trouver un col. Malheureusement seuls des précipices m’attendent sur le versant Nord des premières crêtes et il faut se résoudre à faire demi-tour avant que le soleil ne se couche.
J’enrage à l’idée de ne peut être plus pouvoir accéder aux cîmes le lendemain et devoir à nouveau longer le littoral. Je parie néanmoins sur une nuit calme et bivouaque donc dans une vallée d’altitude, afin de rejoindre les cîmes au plus tôt le lendemain.

Le passage du soleil derrière la montagne amène une ombre fraîche qui semble réveiller le vent, bien discret tout l’après midi. Malgré cette brutale chute des températures, le ciel reste du bleu le plus optimiste et de mon perchoir, je profite d’une magnifique soirée à l’embouchure du canal de Beagle.
J’ai confiance pour le lendemain. Je vais trouver ce col et réussir à passer.

Bivouac sur les hauteurs


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En complément
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