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lundi 9 mai 2016

Une journée compliquée...

06 Décembre



Le vent est tombé au cours de la nuit et, ce matin, le ciel est suffisamment bas pour comprendre que la route des cîmes aurait été fermée aujourd'hui. Ouf, j’ai bien fait de trouver le passage hier et de ne pas écouter la fatigue me proposant un bivouac aux lacs Lola. Ce matin la boussole et mes relèvements de la veille s’avèrent en effet indispensables pour ne pas errer en vain dans cette immense vallée.

Je plie tout en vitesse car je redoute l’arrivée de la pluie et à six heures quarante cinq, je suis en route. La progression se fait sur un tapis de mousses et lichens, chaque mètre carré étant à lui tout seul, un monde d’une incroyable diversité. Cette tourbière est relativement sèche et j’avance donc vite, un peu honteux cependant des frayeurs que j’occasionne chez les quelques oiseaux me voyant surgir de la brume.
Au fur et à mesure de ma descente, cette dernière se fait cependant moins épaisse et l’apparition du rio Bonplan (*) efface mes derniers doutes en matière d’orientation. Ce très bon rythme me fait espérer pouvoir atteindre la baie Aguirre le soir même et l’humeur est excellente. Mais l’euphorie est de courte durée.

La vallée du rio Bonplan
Aux mousses et lichens secs succède une tourbière très humide qui m’impose des trajectoires de plus en plus alambiquées et trempe des pieds, que les hauteurs rocheuses avaient presque permis de sécher. Puis la forêt, qui ne me manquait pas, fait sa réapparition. Encadrant la rivière Bonplan, elle me fait craindre une progression beaucoup plus difficile par la suite. Et mes craintes sont fondées….
Dans un premier temps, je slalome pour éviter les bosquets et retarder l’inévitable mais ceux-ci finissent par fusionner en une barrière végétale typiquement fuégienne. Sans doute pour rétablir l’équilibre de l’encombrement, le ciel se dégage alors et laisse le soleil réapparaître. Puisque les températures deviennent agréables, que la rivière est encore peu profonde et que l’humidité tourbeuse s’est infiltrée jusqu’au dernier recoin de mes chaussures, autant profiter de ce chemin liquide serpentant dans les arbres.
Plouf !
Et je ne suis pas le seul à choisir le sentier liquide...
A partir d’un gué, des traces de bovins et de chevaux apparaissent. Luis m’avait dit qu’il chassait parfois dans cette vallée et effectivement le sol me montre, une fois ou deux, la marque d’un fer de cheval. Le tranchant d’une hache est même à l’origine de certaines souches. Le bois coupé net, n’a pas son pareil pour rassurer car il m'indique que je ne suis pas perdu.
L'unique humain vivant dans cette péninsule est déjà passé là !
Extrêmement concentré, je tente de remonter cette pelote d’indices qui, je l’espère, m’amènera à la baie Aguirre. Malheureusement la succession de parcelles de vieux arbres arrachés par le vent crée un épuisant labyrinthe. Les anciennes traces sont recouvertes et c’est à nouveau l’incertitude dans les trajectoires, les reconnaissances qui n’en finissent pas et le danger de se retrouver au détour d’un tronc, nez à nez avec un taureau. Aucune bête sauvage n’a un instinct de Minotaure mais même involontairement (car je fais tout le bruit que je peux), croiser un animal paniqué et à cornes dans un espace réduit n’est jamais confortable...

Infernal...
En fin d'après midi, l’euphorie du début de journée est déjà loin lorsque de fortes pluies s'invitent. Après une première averse, je pose mon chargement au pied de grands lengas (Nothofagus pumilio ou hêtre de la Terre de Feu) protecteurs et pars en reconnaissance en espérant pourvoir sortir un peu de la forêt et évaluer la distance me séparant encore de la baie Aguirre. Après d’interminables zones d’arbres couchés, je parviens sur une colline d’où j’aperçois….oh joie ! ….. La côte.

Je préfère cependant bivouaquer que tenter d’arriver avant la nuit dans la baie. Je suis crevé, la pluie s’intensifie franchement et si le terrain reste aussi difficile, il me faudra une journée complète. Je retourne donc vers mon sac….. et les ennuis s’enchaînent.
De nombreux taureaux font en effet leur apparition et, afin d'éviter un dangereux face à face surprise, j’effectue un large contour des rives forestières du rio Bonplan. L’eau, a effacé mes traces et j’ai beaucoup de mal à me repérer lorsque je retrouve la forêt. Malgré mon GPS, dans lequel j’enregistre systématiquement la position de mon sac, je mets ainsi plus d’une demi-heure à le retrouver. Bien caché par la forêt protectrice, il est pourtant aussi mouillé à cœur que moi. Très digne cependant, lui ne grelotte pas…

Heureusement, la pluie s’arrête enfin. Je confie immédiatement à un feu, la mission de chasser les gouttes ayant traversée la canopée. Malgré son joli ronronnement, un autre événement va rapidement s’employer à me réchauffer. Au cours de la soirée, deux taureaux me rendent en effet une petite visite de courtoisie…
Je parviens heureusement à les chasser sans dommage mais, en plus de me coucher humide, je suis loin d’être serein pour m'endormir.
Une soirée humide...
La nuit résonne du meuglement sourd des taureaux. Dans un froid demi-sommeil, je me félicite d’avoir troqué pour cette expédition, ma traditionnelle tente rouge pour un très beau coloris vert… mais compte quand même sur la fumée de mon petit feu pour bien passer le message de ma présence aux bovins...

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En complément
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* Rio Bonplan : Baptisé par l’explorateur Julio Popper en hommage au botaniste français Aimé Bonpland (1773/1858). Ses expéditions en Amérique du Sud permirent la description de très nombreuses espèces végétales mais les argentins lui doivent surtout la découverte de la germination du maté et donc sa culture à grande échelle.
Sans maté que serait l’Argentine…… ?



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